En Avignon, sur les traces des papes…

par Pierre
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Le palais des papes.

L’antique cité d’Avignon, fièrement campée au bord du Rhône, est indissociable de la silhouette puissante, austère et même surréaliste de son palais des papes. Au XIVe siècle, elle fut en effet le centre de la chrétienté et elle ne cesse d’en tirer depuis un légitime orgueil. Nombreuses sont les traces de ce glorieux passé : suivez le guide !

 

LES PAPES EN AVIGNON : MAIS POURQUOI ?

En fait, rien ne prédisposait les papes à venir s’installer en Avignon… Pour comprendre cette « anomalie » de l’Histoire, il faut remonter au tout début du XIVe siècle et au violent conflit qui opposa le roi de France Philippe le Bel et le pape Boniface VIII sur une question alors cruciale : quel pouvoir, du temporel ou du spirituel, est supérieur à l’autre ?

Peinture de l'Attentat d'Anagni.

Une taloche restée célèbre : la troupe française s’en prend au pape, qui décède peu après…

Chacun prêche pour sa paroisse et pour cause : les deux pouvoirs sont concurrents pour la levée d’impôts ou la possession terrienne par exemple… Le conflit s’envenime et on en vient aux mains : le pape Boniface VIII est physiquement brutalisé par la troupe de l’émissaire du roi de France à Anagni et décède un mois après les faits (1303) !

Sa succession vire à l’hystérie. Il faut deux années pour trouver un nouveau pape et le compromis sur porte sur un Français sagement resté à l’écart de cette guerre des nerfs : Bertrand de Got est couronné pape sous le nom Clément V et passe une bonne partie de son pontificat à ménager la chèvre et le chou, à apaiser lentement les esprits et à trouver des compromis.

Tiraillé entre les partisans de toutes les parties, il décide d’installer le siège de la papauté en Avignon (après une courte hésitation avec Carpentras, une autre cité non loin de là) : la ville et sa région, le Comtat Venaissin (à peu près le Vaucluse actuel), avaient avait le bon goût de se situer entre France et Italie et d’appartenir déjà aux États de l’Église…

Au début, il n’est pas question de rester. C’est un exil temporaire, le temps que tout rentre dans l’ordre. Mais seulement voilà, rien ne se règle aussi vite que prévu : la papauté va rester un siècle en Avignon ! 7 papes vont s’y succéder dès 1309 :  Clément V, Jean XXII, Benoît XII, Clément VI, Innocent VI, Urbain V, Grégoire XI… faisant d’Avignon le centre du monde catholique et reléguant Rome à l’arrière-plan d’une Histoire à laquelle elle semblait pourtant promise sans discussion.

Avignon devient rapidement une ville de pouvoir, de tractations, une ruche politique et spirituelle, un lieu de faste et de luxe, un nid d’espions et d’intrigues, un repaire de vertus et de vices qui provoqueront le dégoût du poète italien Pétrarque, qui vivait alors dans la région.

Pour la petite histoire, il y eut bien un retour à Rome en 1378. On croyait alors l’affaire réglée… Mais patatras… Les querelles reprennent de plus belle. Cette fois, chaque camp se choisit un pape : c’est le Grand Schisme d’Occident, avec un pape à Rome et un pape à Avignon… Il faudra attendre 1415 pour que l’affaire soit réglée définitivement avec un seul et unique pape à Rome.

 

AU CŒUR D’AVIGNON : LE PALAIS DES PAPES

En fait, deux palais imbriqués

Le palais des papes est bien entendu le cœur de cette papauté médiévale, c’est le « Vatican d’Avignon ». Les papes se sont primitivement installés dans le palais des archevêques d’Avignon, qui, avec la cathédrale romane, occupait le flanc de la colline des Doms.

Ce palais va être agrandi progressivement au XIVe siècle pour en faire le plus grand édifice médiéval qui nous soit parvenu (15 000 m2 !) :

  • D’abord par le pape Benoît XII (1334-1342). C’est ce que l’on appelle aujourd’hui le « palais vieux », dû à l’architecte Pierre Peysson.
  • Ensuite le « palais neuf », voulu par Clément VI (1342-1352), bâti par l’architecte Jean du Louvres.

 

Luxe, prison et festival de théâtre

La décoration du palais des papes est confiée aux meilleurs artistes italiens, et notamment aux célèbres ateliers siennois.  Les papes y constituent en outre la plus grande bibiothèque de l’époque, avec ses 2000 volumes…

Tout cet âge d’or prendra fin au XVe siècle, avec le retour définitif des papes à Rome. Le palais des papes continuent d’accueillir de hauts dignitaires de l’Église jusqu’à la Révolution française. Le XIXe siècle sera en revanche les heures les plus noires pour l’édifice, transformé tour à tour en caserne puis en prison, avant que ce patrimoine exceptionnel ne soit patiemment restauré. Il est aujourd’hui classé sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco.

Et puis, bien sûr, le palais des papes accueille depuis 1947 le fabuleux festival d’Avignon, un des plus importants festivals de théâtre du monde. Il fut créé par Jean Vilar qui, dit-on, recherchait à l’origine uniquement « un mur » comme toile de fond : il trouva son bonheur dans la cour d’honneur du palais. Aujourd’hui, le palais des papes est l’épicentre de la trentaine de sites du festival officiel, qui se déroule en juillet (sans compter le festival Off, qui se tient hors du programme officiel grâce à des compagnies indépendantes et autofinancées).

 

Visiter le palais des papes : les 10 lieux à ne pas manquer

Si vous visitez le palais des papes, voici ce qu’il ne faut pas manquer :

1️⃣ La puissante façade principale : la porte des Champeaux, surmontée de ses deux tourelles emblématiques et frappée des armoiries de Clément VI, marque l’entrée du palais des papes.

2️⃣ La grandiloquente et toutefois sévère Cour d’Honneur, aujourd’hui cœur battant du festival d’Avignon. C’était autrefois le carrefour grouillant où se croisaient fonctionnaires et visiteurs du palais.

3️⃣ La Grande Audience, de la fenêtre de laquelle le pape donnait ses bénédictions à la foule présente dans la cour d’honneur.

4️⃣ La salle du Grand Tinel avec l’effet interminable de sa voûte de bois. C’était une salle d’apparat où étaient servis les festins.

5️⃣ La Chambre du cerf avec ses fresques naturalistes du Moyen Âge : c’était la salle d’études, le bureau de Clément VI.

6️⃣ Les petites chapelles Saint-Jean et de Saint-Martial et leurs somptueuses fresques médiévales chatoyantes issus d’ateliers siennois.

7️⃣ La Grande Chapelle, envolée voûtée de 20 mètres de haut sur 50 de long, cœur spirituel de la papauté, peut-être plus que la cathédrale Notre-Dame-des-Doms attenante au palais. De par son acoustique, elle témoigne du goût des papes pour la musique. On sait que Clément VI y écouta la Messe de Notre-Dame du compositeur Guillaume de Machaut. Ambiance :

8️⃣ La Cour du Cloître, cour d’honneur primitive du palais, encore empreinte d’une humilité et d’une raideur toute monacale.

9️⃣ Les terrasses, qui réservent des vues magnifiques sur Avignon.

? La cathédrale Notre-Dame-des-Doms : dur de réaliser que cette minuscule (mais jolie) église romane fut officiellement pendant un siècle le cœur de la chrétienté occidentale…

 

AUTOUR D’AVIGNON : LES TRACES DE L’ÂGE D’OR DES PAPES

Châteauneuf-du-Pape : le vin… des papes

Eh oui, Châteauneuf-du-Pape, plus vieille appelation AOC de France, porte bien son nom : le vignoble y a été introduit par le pape Clément V pour fournir la cour. Il faut dire que le bonhomme s’y connaissait : le pape était originaire du Bordelais et est resté toute sa vie viscéralement attaché à sa région. Il a d’ailleurs tenu à y faire rapatrier sa dépouille : le souverain pontife repose dans la petite église d’Uzeste, en Gironde).

Le village de Châteauneuf-du-Pape

La vue sur le vignoble de Châteauneuf-du-Pape, depuis la forteresse des papes.

Châteauneuf est toujours dominé par la puissante silhouette de la forteresse médiévale, qui joua aussi le rôle de résidence secondaire des papes d’Avignon.

Les vins de Châteauneuf-du-Pape, issus de 13 cépages, se déclinent aujourd’hui en un rouge assez puissant et un blanc.

 

Les « livrées cardinalices », témoins de la vie de cour

Une façade médiévale à Avignon.

Chaque cardinal avait son palais… Ici, le Petit Palais.

Ce qu’on appelle une « livrée » est un palais construit en Avignon ou aux alentours par les différents cardinaux de la cour pontificale. Si beaucoup ont disparu suite au retour de la cour pontificale à Rome, il en reste de magnifiques exemples architecturaux.

Le Petit Palais sur le parvis même du palais des papes, avec sa belle façade rectiligne et ses créneaux. Il était dévolu aux cardinaux-évêques d’Avignon, ce qui explique sa position privilégiée dans la ville. C’est aujourd’hui un musée.

On peut également citer la livrée d’Annibal de Ceccano (place Saint-Didier), la livrée d’Albano (actuel hôtel de ville, place de l’Horloge) ou la livrée du cardinal Corsini, dont il reste la tour Saint-Jean (place Pie).

 

Villeneuve-lès-Avignon : piété et plaisirs

Juste en face d’Avignon, sur l’autre rive du Rhône, Villeneuve-lès-Avignon était à l’époque des papes située sur le territoire du roi de France. Cela ne l’a toutefois pas empêché de devenir le pendant de la ville-mère pour la cour pontificale, une ville de villégiature où l’on pouvait se mettre au vert non loin de la “capitale” et échapper à son atmosphère parfois tendue et étouffante.

Vue depuis le palais des papes d'Avignon.

Ce n’est pas loin du palais des papes, mais ce n’est plus en Avignon : de l’autre côté du Rhône, Villeneuve était une cité de villégiature pour la cour…

Pas moins de 14 palais y furent autrefois construits, dont une résidence personnelle des papes. Parmi ceux qui sont encore visibles, citons la livrée de Canilhac (place de l’Oratoire) ou livrée de Ceccano (actuel musée Pierre-de-Luxembourg),

Le pape Innocent VI est aussi le fondateur à Villeneuve de la magnifique chartreuse de Notre-Dame-du-Val-de-Bénédiction. Choyée des souverains pontifes (Innocent VI y repose même), c’était au Moyen Âge l’une des plus riches de France. C’est toujours un immense ensemble paisible, recueilli, où l’on admire de belles fresques, des salles gothiques et les modestes appartements individuels de moines.

Si vous avez un peu de temps, montez encore au fort Saint-André, sur le mont Andaon. Les tours médiévales ont gardé leur aspect spectaculaire et on y jouit d’un très joli panorama.

 

3 POINTS DE VUE MAGNIFIQUES SUR LE PALAIS DES PAPES

Tiens, puisqu’on parle de panorama, on vous donne pour le plaisir 3 endroits que l’on aime pour admirer le palais des papes.

  • Pas très original, mais incontournable : le parvis du palais, qui s’étire tout en longueur. On se sent écrasé par la masse des murailles et des tours (ce qui est exactement l’effet escompté par les anciens maîtres des lieux).
  • L’arrivée par la rue de la Peyrolerie. L’écrivain Alexandre Dumas était resté stupéfait par la vision du palais depuis l’étroit goulet qui conduit au parvis, creusé dans le roc et surplombé d’une énorme arcade…
  • De l’autre côté du Rhône, à Villeneuve-lès-Avignon, la vue générale sur le palais des papes, la ville d’Avignon et le Rhône depuis le sommet de la tour Philippe-le-Bel. Imprenable.

 

Crédits photo : Grande Chapellevue sur Villeneuve-lès-Avignon, Châteauneuf-du-Pape

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